Image d'illustration : just.Luc - CC BY-NC-SA 2.0

Infrabasses

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Le billet que vous lisez fait partie de la série « Cercle des Ingénieurs Disparus ». Le menu sur la gauche permet de naviguer entre ses parties. Bonne lecture ! 😄
Cette semaine, on devait écrire un texte qui servira de support pour l’asso de dessin, assez descriptif donc ! On a chacun choisi un mot et un adjectif puis créé des combinaisons, et réparti au choix ou au hasard. J’ai hérité de « piano somptueux ».

Tout est calme. Le calme, c’est bien l’unique artefact qu’il semble rester de ce paysage. Ce qui autrefois auraient bien pu être des chênes ou des châtaigniers centenaires peinent à se faire une place dans le brasier.

Les troncs sont restés là, comme s’ils s’étaient préparés trop longtemps au charnier.

Le ciel est rouge, rouge, toujours de ce même rouge qui vire au pourpre sans qu’on ait jamais compris pourquoi. A-t-on seulement besoin de comprendre ?

Si on pouvait compter les secondes, à chaque seconde, il ne se passerait rien. Mais le temps est si vieux qu’il égrène péniblement les années.

Les yeux du monde, quant à eux, sont restés. Leur cataracte balafrée se balade sans but. La vie les a quitté depuis maintenant si longtemps qu’ils ne s’étonnent plus de rien.

Pourtant, il faudra bien qu’ils s’usent, encore et encore. Jusqu’à s’arrêter sur un détail. Une petite aspérité dans la poussière qui n’a même plus la force de virevolter.

Au milieu des branches rigides à crever, une masse noir ébène parsemée de blanc amandier. Le piano qui se dresse semble avoir oublié de consulter le destin. On peine à le reconnaître. Sa carcasse est faite d’un bois dont on se demande s’il a jamais séché. Elle gondole, couvercle de nœuds, lit de tourbe et touches de bourgeons. La résine suinte des marteaux trop mous pour avoir jamais blessé personne.

Le monde hausse un sourcil. Puis fronce les yeux. Les cordes de cuivre et d’acier sont des lianes entrelacées qui se moquent de la justesse et qui plongent dans les profondeurs de la terre. Petits ruisseaux dans le vaste océan de cendres amoncelées qui un jour ressemblèrent à des hommes.

Elles se jettent dans le cœur des saules. Ils ne pleurent plus, mais elles les enlacent, fort. Elles tournent et tournent et s’articulent en tendons qui fait sursauter le bois mort. Ligneuses de la main.

Avec tout l’étonnement dont il est capable, le monde regarde une seconde passer. Puis une autre.

L’air vicié se contracte et se dilate en notes graves. Sourdes, régulières, profondes, une évidence, un écho des premiers instants, un cœur qui émerge d’un long sommeil. Infrabasses de vie.

Le temps se compacte, puis
la terre remue les racines pulsent la sève palpite et monte dans ces corps décharnés qui n’attendaient plus rien des aubes les battements lourds se font mille les lianes résonnent l’écorce éclate et la moelle hurle à qui veut l’entendre.

les dormeurs se réveillent dans le miel
farandole de soleils
lassitude et silence s’endorment
sur un bel accord majeur